Crab2ddcc

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

01/06/2007

La pensée.

Depuis de nombreuse année je m’efforce de montrer que les rédacteurs, et leurs apparatchiks  des  religions monothéistes, ont pillés en les  appauvrissant le fond, la forme poétique des textes des poètes philosophes grecques, pour bricoler des idéologies qu’ils appellent religions, ont tentés de tuer la pensée, fort heureusement sans jamais, siècles après siècles y parvenir.

Je viens, pour ma part, d’achever la lecture de l’excellente contre-histoire de la  philosophie « les Libertins baroques Michel Onfray » dans lequel il oppose la pensée aux idéologies, voire la « pensée » totalitaire dont aujourd’hui se gaussent les extrémistes et plus sournoisement encore  les chantres du relativisme culturel.

.

Crab.

.

Philosophie

Principes de plaisir

Les leçons de vie des philosophes libertins des XVII e et XVIII e siècles

Par Robert MAGGIORI

QUOTIDIEN : jeudi 31 mai 2007

Christophe Girerd La Sagesse libertine Grasset, 398 pp., … François de La Mothe Le Vayer De la liberté et de la servitude édité et postfacé par Lionel Leforestier, Le Promeneur, 110 pp … Michel Onfray Contre-histoire de la philosophie Grasset, volume 3: les Libertins baroques, 314 pp…. volume 4: les Ultras des Lumières, 342 pp…

1 réaction  

Au philosophe Jules César Vanini, rien ne fut épargné. «Avant de monter surbûcher, on lui ordonna de livrer sa langue au couteau ; il refusa ; il fallut employer des tenailles pour la lui tirer, et quand le fer du bourreau la saisit et la coupa, jamais on entendit un cri plus horrible.» Il sera étranglé, son corps brûlé et ses cendres dispersées. C'était le 9 février 1619, à Toulouse. Quelques années plus tard, le poète Théophile de Viau connaîtra «meilleur» sort : avant qu'on ne parvienne à l'arrêter et à le jeter en prison ­ où il meurt le 25 septembre 1626 ­ on l'exécute par contumace, on fait un autodafé de ses recueils d'odes et d'épigrammes. C'est qu'au début du Grand Siècle, de véritables casemates ­ prenant la forme d'un système de délations, pressions, anathèmes, persécutions, incarcérations, tortures, mises au bûcher ­ sont dressées pour entraver ce qu'on qualifie d'impiété, de blasphème, d'athéisme, de simple dissidence ou de libre pensée. Concentré des malices de la Terre, le libertin essuie tous les feux. Il n'est pas forcément, note Christophe Girerd dans la Sagesse libertine , un hérétique ou un mécréant, mais un «mixte» indéterminé, à la fois un débauché, un matérialiste, un sodomite, un sceptique, un démon, un épicurien, un disciple de Machiavel, un adepte de la sorcellerie, un «voluptueux» . L'un des hérauts de la «contre-offensive civile, religieuse et philosophique pour défendre la religion catholique, apostolique et romaine», le père François Garasse (1), de la Compagnie de Jésus, le décrit ainsi en 1622 : «J'appelle Libertins nos yvrognets, moucherons de taverne, esprits insensibles à la piété, qui n'ont d'autre Dieu que leur ventre, qui sont enrôlés en cette maudite confrérie qui s'appelle la confrérie des bouteilles [...] C'est une gangrène irrémédiable, il faut couper, trancher, brusler de bonne heure, autrement l'affaire est désespérée.» A la faux du père Garasse vont s'adjoindre les cisailles plus sophistiquées du père Marin Mersenne, le célèbre correspondant de Descartes, qui publie en 1624 l'Impiété des déistes, athées et libertins de ce temps: combattue et renversée de point en point par raisons tirées de la philosophie et de la théologie, et, l'année suivante, la Vérité des sciences contre les Sceptiques ou Pyrrhoniens, où le libertin, «funeste oiseau de la nuit», est accusé de «ne pas supporter l'éclat de la vérité», de borner la connaissance «à la seule portée des sens» et de ravaler les hommes «à la condition la plus basse des bêtes les plus stupides» .

Evidemment ni le père Garasse, ni Mersenne, ni ceux qui, avec les mêmes intentions, les ont précédés ou les suivront, ne vont réussir à sarcler la pratique ou l'esprit du libertinage. Mais ils ont gagné sur un point :les grands représentants de la «sagesse libertine» ont été, sinon rayés de la carte, du moins, dans l'histoire de la pensée, situés en «enfer», oblitérés, «secondarisés». Aujourd'hui encore, pour les apercevoir «derrière» Pascal ou Descartes, Malebranche, Bossuet ou Leibniz, il faut une Contre-histoire de la philosophie . De celle, en 6 volumes, à laquelle s'est attelé Michel Onfray, paraissent les tomes 3 et 4, consacrés respectivement aux Libertins baroques et aux Ultras des Lumières . Ces ouvrages s'emploient à réhabiliter ­ outre celle de Spinoza, qui est toujours centrale, quelle que soit la perspective adoptée ­ les figures que la philosophie traditionnelle a toujours minorées. A savoir, pour le XVII e siècle, Pierre Charron, François de La Mothe Le Vayer, Charles de Saint-Evremond, Pierre Gassendi, Hector Savinien Cyrano de Bergerac (mais aussi François Bernier, la nonne défroquée Gabrielle Suchon, Gabriel Naudé, Jacques Vallée Des Barreaux), et, pour le XVIII e, Jean Meslier, La Mettrie, Maupertuis, Helvétius, d'Holbach et le Marquis de Sade (que Michel Foucault disait déjà être «un disciplinaire» et qui est ici pris en «précurseur du fascisme» , adjoint à la liste des «Ultras» uniquement pour avoir «manifesté brutalement l'irruption de sexe dans la philosophie» ). Onfray les décrit un par un et expose leur pensée. Emergent, de cette fresque, le discret La Mothe Le Vayer ­ dont de plus en plus de textes sont disponibles en librairie, l' Hexameron rustique , publié il y a peu (2) et aujourd'hui De la liberté et de la servitude ­ ou le fougueux Jean Meslier, «curé athée sous Louis XIV, de surcroît révolutionnaire communiste et internationaliste, matérialiste intégral, hédoniste convaincu, coléreux patenté, vindicatif, imprécateur antichrétien, et surtout philosophe au plein sens du terme», condensant sous sa soutane «toute la dynamite qui mine le XVIII e siècle» . Se dessine aussi, malgré les différences entre les penseurs, un archipel de pensée qui modifie en profondeur le paysage philosophique qu'on voit sur « la carte postale de l'historiographie dominante» . Au Grand Siècle, les «libertins baroques» accomplissent une révolution méthodologique, éthique et religieuse : ils pratiquent un relativisme et un perspectivisme issus de Montaigne, recourent à une méthode d'analyse sceptique, adoptent une «singulière posture religieuse, le fidéisme», revendiquent une liberté philosophique totale, généralisent le modèle scientifique, réhabilitent la morale épicurienne, réactivent le sensualisme... Au siècle des Lumières, les «Ultras» privilégient «l'immanence, la terre, l'ici-bas ­ l' athéisme ; la matière, la science, le monde sensible, l'univers visible ­ le matérialisme ; le bonheur, la volupté, le plaisir, le corps, la chair ­ l' hédonisme; le bien public, le communalisme, le communisme, le socialisme ­ la révolution » .

Intéressé à tracer les contours d'une Sagesse libertine , Christophe Girerd se nourrit aux mêmes sources que Michel Onfray, dont il se dit «lecteur et élève» . Son livre est même le premier qui soit directement issu de la Contre-histoire de la philosophie , et qui en soit l'application délibérée. Les mêmes thèses sont développées, les mêmes auteurs (du XVII e) convoqués... Malgré cela, jeune professeur de philosophie dans un lycée de Bourg- Saint-Maurice, Girerd réussit un essai tout à fait original, en ce qu'il «se mêle» à ce qu'il écrit, de façon assez brillante d'ailleurs, entrecoupant l'exposé de la philosophie et de l'éthique des libertins par des intermèdes autobiographiques, des souvenirs de potache, une facétie à la fac ou une bataille de gratins de pommes de terre, choux-fleurs et yoghourts dans une cantine de collège. Or, sa vie semble bien morne. Un «studio meublé» , toujours envahi d'une «odeur inquiétante et tenace de renfermé», une table en Formica rouge, qui sert à manger et à travailler, un lit branlant qui ne pourrait pas supporter deux corps, la voiture soir et matin, traversant une vallée où «le bon air est un mensonge pour touristes», une salle des professeurs grise, des collègues indifférents, faisant la queue devant la photocopieuse, aucun ami, la pulsion de mort, rampante, qui «pousse ses armées invisibles et toxiques dans mes veines» .

Heureusement, il y a «l'autre vie», quand tombe la nuit, quand vient le temps de l'écriture et la lecture, des discussions sans fin avec Cyrano, Gassendi, Charron, La Mothe Le Vayer.... Alors s'élabore «un gai savoir où nous nous transformons en spectateurs amusés et détachés de la comédie humaine, en témoins désengagés de nos existences titubantes et vagabondes» . A cette joyeuse sagesse, que Girerd compose en extrayant l'«esprit» de chaque philosophe étudié, contribue l'éloge de l'indiscipline, «exubérance qui réagit contre la monotonie», de l'impertinence, de l'impiété, de l'impudeur, du rire, du «pessimisme hilare», de l'infidélité et du papillonnage ( «un homme fidèle est comme un philosophe dogmatique, attaché opiniâtrement à une seule vérité, un seul système, une seule école, un seul maître» ), de l'existence folâtre, de la mobilité ( «goûter à tout, ne s'attacher à rien» ), des «amitiés mécréantes», de la désinvolture, des plaisirs luxuriants des sens. Comme écrivait Saint-Evremond, «à parler sagement, nous avons plus d'intérêt à jouir du monde qu'à le connaître» . Puissent les nuits de Christophe Girerd durer longtemps ! Dès le matin, il faut retrouver le meublé, petit mais fonctionnel, la table en Formica rouge, la route du lycée, la sortie numéro 6, «M. Nord, zone industrielle» .

(1) Sur ce terrible personnage doit bientôt paraître (Encre marine) une étude de Jean Salem.

(2) Encre marine, 2005. Ses «Dialogues faits à l'imitation des Anciens» se trouvent chez Fayard («Corpus»,1989); «De la patrie et des étrangers et autres traités sceptiques» a été publié chez Desjonquières en 2003.

http://www.liberation.fr/culture/livre/257216.FR.php

 

Les commentaires sont fermés.