24/06/2015
Mona Eltahawy
Mona Eltahawy, féministe égyptienne : la révolution par le sexe
FEMMES DU MONDE - Chaque semaine, Karen Lajon, grand reporter au JDD, revient sur le parcours exceptionnel ou peu ordinaire de femmes du monde. Cette semaine, elle a rencontré la féministe égyptienne Mona Eltahawy qui balaie d'un revers de la main le port du voile.
'' J’ai porté le foulard pendant neuf ans. Il m’aura fallu huit années pour l’enlever." A regarder aujourd’hui Mona Eltahawy, on imagine aisément le chemin parcouru. Tout est à la limite de la démesure, de l’outrage. Cheveux exagérément rouges, bagues à la taille disproportionnée, jupe bien courte et énormes tatouages sur les deux avant-bras.
L’écrivain, féministe et activiste égyptienne assume désormais un look de hipster globalisé que l’on voit dans toutes les grandes capitales de ce monde. Mona est enfin Mona, une quadragénaire en accord avec elle-même, et en guerre contre les islamos de tout poil, une vie enfin aboutie qu’elle raconte dans un livre cri du cœur, Foulards et Hymens, et qui appelle à la révolution sexuelle dans le monde arabe
« Surtout ne pas aller plus loin, surtout ne pas débattre du fait que le voile aussi sexualise les femmes »
Sexe et bout de tissu
Et tout ça à cause d’un bout de tissu. Ce fameux bout de tissu que le père de la révolution iranienne, Rouhollah Khomeini, avait pourtant cessé d'imaginer qu’il pourrait l’imposer au-delà des frontières de l’Iran. Quelle victoire post-mortem pour ce vieux religieux qui, en fuite en Turquie, n’envisageait pas la place des femmes autre part que dans leur cuisine et qui, une fois rentré à Téhéran, comprit que la révolution ne se gagnerait pas sans elles. C’est une autre révolution à laquelle aspire l’égyptienne Mona. Une révolution basée sur un concept honni de tous les mollahs, émirs, cheikhs et consorts : le sexe! Ce truc aphrodisiaque, réservé à la gent masculine ici-bas et dans l’au-delà. Allez donc concurrencer cet objectif sucré que de posséder 70 vierges une fois au ciel! Mona Eltahawy a au moins cette honnêteté, celle de dire que ce fameux bout de tissu est bel et bien un véritable enjeu dans la planète arabo-musulmane.
Le voile plus important que l’individu
D’où cet affront, qu’elle fit un jour, en le laissant échouer sur un lit quelque part dans sa mémoire. "J’ai fini par l’enlever pour deux raisons. J’ai cessé de croire à ce type d’obligation religieuse, et puis le souffle du vent dans mes cheveux me manquait. Je ne me reconnaissais plus face à mon miroir. Je voulais réconcilier l’extérieur et l’intérieur. Je comprenais enfin que le voile était devenu plus important que la personne en elle-même, plus important que ce que j’étais véritablement."
« Alors ma question aujourd’hui est : pourquoi c’est plus facile de le mettre que de l’ôter ? »
Mais ce fut plus facile de le mettre que de l’enlever. "Alors ma question aujourd’hui est : pourquoi c’est plus facile de le mettre que de l’ôter? Et la seule réponse que j’apporte c’est qu’on ne parle pas de ce sujet avec honnêteté. La question du port du voile tourne toujours autour de cette idée que c’est mon choix et parlons plutôt de l’Occident et de la façon dont les femmes sont sexualisées. Et là, bien sûr, la conversation s’achève. Surtout ne pas aller plus loin, surtout ne pas débattre du fait que le voile aussi sexualise les femmes."
Mona découvre le féminisme
Comment devient-on alors féministe, en recouvrant ses cheveux? Difficile au début, voire impossible. Lorsqu’elle habite avec ses parents en Arabie Saoudite, elle choisit le chemin opposé. Elle se préserve pour Dieu, elle s’efface du regard des hommes. Mais la réalité l’emporte. Les femmes autour d’elle souffrent. "J’avais dix-neuf ans et je me suis rendu compte que j’étais féministe avant de tomber sur le mot 'féminisme' dans une bibliothèque. J’ai alors tenté de concilier les deux : le voile et le féminisme." Pas facile. Prenez son séjour en Angleterre. "Il m’a fallu porter le voile à longueur de journée pour pouvoir respecter les règles que je m’étais fixées. Je suffoquais." Mais elle s’en sort encore. "Si une femme avait le droit de porter une minijupe, sûrement que j’avais, moi, le droit de choisir de porter ou non un foulard. Une décision qui ne pouvait que témoigner de mon indépendance d’esprit et affirmer mon féminisme." Le retour en Egypte sonnera le glas de ce féminisme bancal.
« J’ai tenté de concilier les deux : le voile et le féminisme. »
Mona comprend que porter le hidjab est une occupation à plein temps. Elle ressent très fortement qu’elle n’est devenue qu’un voile. La rencontre avec des féministes égyptiennes et une anecdote scellent le sort de ce bout de tissu. Une voisine de sa mère se rassure en disant que tant que Mona porte le voile, elle pourra toujours trouver un mari. La jeune femme s’en débarrasse. "Ma propre révolution féministe a lentement mûri, elle a fait le tour du monde avec moi."
Révolution sexuelle
Elle l’incarne à elle toute seule. Elle affiche désormais son corps avec ostentation. Mais elle a dû batailler avec elle-même. Au début, elle a refusé de paraître belle, soucieuse de cette modestie fantasmée et imposée aux femmes par des hommes frustrés. Puis peu à peu, les fils de sa prison se sont défaits. Mona a fini par montrer tout ce qu’elle cachait auparavant. Aujourd’hui, elle parle sans gêne de son mariage avec un Américain. "Deux ans, et jamais je ne me remarierai", dit-elle en riant, le son de sa voix aussi rauque que celui des belles italiennes. Elle concède un amant égyptien avec lequel il fut plus facile de communiquer sans presque communiquer, "parce que de la même culture." Elle compare volontiers cet amour-là à celui partagé avec les mâles occidentaux. "C’est plus fatiguant parce que justement il faut expliquer les différences culturelles, mais en même temps c’est peut-être moins intense donc moins pesant."
Liberté de parole, liberté de son corps, de parler de son corps, Mona Eltahawy a fait sa révolution. Celle de son âme, de son sexe, désormais elle veut réveiller les femmes du monde arabo-musulman, mais sans jamais se faire dicter quoique ce soit. "Je revendique mon droit au plaisir de la chair, mon droit aux relations sexuelles intra- et extra-conjugales. La révolution politique et sociale passe par la révolution sexuelle." Minoritaire, Mona? Oui, bien sûr. "Révolution est mon mot préféré. Et il n’y a jamais eu une révolution dans le monde qui n’est été menée par la majorité. De façon générale, les gens privilégient toujours le consensus ou le statu quo parce qu’ils se sentent à l’abri. Donc oui, j’appartiens à une minorité qui veut faire bouger les choses et j’en suis très fière."
Foulards et hymens de Mona Eltahawy, Editions Belfond
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Source de l'article : Karen Lajon - leJDD.fr
Suites
Poser nue pour le meilleur
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09:29 Publié dans " Pègre islamique ", " Phallocratie sacralisée ", Mona Eltahawy | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Égypte, féminisme, islam, iran, maghreb, masih alinejad, mine_kirikkanat, mona eltahawy, turquie, voiles_islamiques, sexualités, télévision | Facebook | | | Imprimer |
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